Nous sommes profondément alarmés par ces visions tronquées du fonctionnement du cinéma belge, visant toujours les mêmes cibles (Jeanne Brunfaut, le Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel, la Commission Cinéma, Patrick Quinet, les Frères Dardenne, le cinéma Palace, les Magritte du Cinéma…). Or, ces personnes et institutions ont particulièrement œuvré au développement et à la notoriété de nos films et talents ces dernières décennies, et nous souhaitons, au contraire, souligner l’importance de leur engagement.
Plus largement, ces attaques jettent le discrédit sur un secteur pourtant en plein essor (comme en témoigne la récente étude commandée par l’UPFF+ à Deloitte), qui a connu de grands succès publics, tant en salles de cinéma qu’en télévision, sur Auvio, et à l’international ces derniers mois. Un exemple éclatant vient encore d’être donné aux Oscars 2025, lors desquels Flow, une coproduction belge, a remporté l’Oscar du Meilleur film d’animation.
Aujourd’hui, le secteur travaille, comme il l’a toujours fait, au travers de la Chambre de Concertation Cinéma, à améliorer constamment le fonctionnement des commissions. Il s’interroge notamment sur la manière de gérer la saturation de plus en plus importante à laquelle est confrontée la Commission Cinéma, alors même que ses moyens diminuent.
Soutenir pleinement les talents émergents, qui se déploient au sortir de nos excellentes écoles et ne cessent, ensuite, de se développer et de se diversifier[1] est en effet devenu une gageure particulièrement complexe pour les 130 membres de la Commission, dont le travail sincère et engagé, ne répondant à aucune « consigne », consiste à trancher, avec des enveloppes désormais en diminution, entre les dossiers de plus en plus nombreux et de plus en plus qualitatifs sollicitant des soutiens auprès du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel.
Dans le même temps, le secteur évolue : nos associations représentatives se concertent pour augmenter le bien-être des équipes, se doter d’outils pour prévenir le harcèlement, encourager la diversité de nos talents, de nos histoires et travailler avec les éditeurs de télévision et les plateformes pour toucher plus et mieux les publics. En dix ans, une industrie de la série télévisée belge francophone est sortie de terre. Le secteur s’est formidablement ressaisi après la crise du covid. Et l’étude Deloitte démontre qu’il utilise remarquablement l’argent public investi, en le convertissant en en près de deux fois plus d’emplois que dans les autres secteurs de l’économie (pour 1 million d’euros d’investissements publics, le secteur génère 31 ETP, contre 17 en moyenne dans les autres secteurs), et en transformant chaque euro perçu des pouvoirs publics (incluant les investissements tax shelter) en 4,4 € de produit brut.
Mais face à cet essor, que constatons-nous ?
Rappelons au passage que la création audiovisuelle indépendante que nous représentons – et même la culture de manière générale – « coûte » très peu d’argent à l’Etat (132 millions d’euros en 2022 pour la production de films, documentaires et séries belge francophones, dont + de 70% provenant d’entreprises privées, investissant au travers d’un incitant fiscal fédéral, le tax shelter), face aux, par exemple, 13 milliards d’euros investis la même année par la Belgique dans les subsides aux énergies fossiles.[2]
Aujourd’hui, ce qui nous inquiète, ce ne sont pas les prétendus dysfonctionnements de nos institutions culturelles, mais la démagogie des discours qui les inventent et les exagèrent. Ces discours qui suggèrent que la culture est trop financée, tout en pointant du doigt la domination des productions américaines, comme si celles-ci n’avaient pas bénéficié, depuis l’après-guerre, d’investissements publics massifs qui les ont imposées dans nos imaginaires et notre quotidien, avec un grand risque d’uniformisation.
À l’heure où les tensions mondiales augmentent, où nos démocraties sont confrontées à des remises en question majeures, où les « vérités alternatives » et les discours simplistes prennent le pas sur les réalités des gens, et des chiffres, nous, professionnel·les du cinéma, et de la culture au sens large, avons un rôle crucial à jouer, pour enrichir les imaginaires, nourrir nos identités mais aussi offrir des emplois passionnants et diversifiés, et de l’activité à toute une série de sociétés prestataires de services. Car le cinéma est un art, mais c’est aussi une industrie. Une industrie riche de sens, qui mérite mieux, de nos médias et de nos dirigeants, que les fausses vérités récemment publiées.
C’est en travaillant main dans la main avec les ministres compétents dans nos matières aux différents niveaux de pouvoir (Culture, Médias, Finances, Économie …), nos administrations, nos médias publics et privés, nos associations professionnelles, nos groupes de concertation solides et structurés, dans le respect des compétences de chacun et chacune, que nous pourrons continuer à avancer sans peur et confiants dans nos talents.
Pour un petit territoire aux prises avec la mondialisation, nous avons de grandes capacités de gestion et d’innovation, en bref, de création de valeur.
Or, ensemble, nous pouvons encore aller plus loin.
Nous appelons à un dialogue sans plus tarder.
Liste complète des 1168 signataires
[1] La Nuit se traîne, lauréat de 10 trophées aux derniers Magritte du Cinéma, est un thriller urbain tendu, Chiennes de vie, qui a valu le Magritte du Meilleur acteur à Arieh Worthalter, une comédie noire, Il pleut dans la maison et Amal, lauréats de 4 Magritte, de puissants drames sociaux tandis que TKT, qui a rassemblé plus de 75.000 spectateurs en salles ces derniers mois, ciblait le public adolescent (et parents). Ces quelques exemples témoignent de la grande diversification récente de nos productions d’initiative belge.
[2] Source - L’Echo: https://www.lecho.be/dossiers/climat/la-belgique-consacre-13-milliards-d-euros-de-subventions-aux-energies-fossiles/10488323.html